Un poème ? … des mots qui fusent comme un cri de liberté et chantent l’espoir d’une connexion entre l’auteur et le lecteur.
Si la magie opère, on peut rêver d’un peu de partage complice du sens, qu’ils soit intention, aspiration, émerveillement ou simple réflexion du mental.
Au mieux, une trace de la Joie d’écrire s’en ira ardemment contaminer le cœur de celle ou celui qui osera prendre du temps pour la lecture.
Mais existe-t-il encore un petit lectorat pour la poésie ?
Et combien de poètes sauront garder pudiquement pour eux leurs textes accouchés dans la souffrance ? On ne devrait, selon moi, que partager l’intime de la Joie et la fraîche exaltation d’être saisi par la sainte Présence…
Non, comme en peinture ou en photographie, partager ses larmes ou ses angoisses n’est pas un bon karma, tout juste une bribe de sa psychothérapie, ou pire, de son narcissisme puéril…
Et puis, les années 60 et 70 ont vu l’abandon systématique des rimes et, bien pire, celui de la cadence, ce souffle vital qui fleurit par exemple dans l’alexandrin comme nulle autre forme d’expression...
Certes, les temps sont aux SMS, aux émojis et autres abréviations si rapidement tapées sur nos claviers de tablettes ou de smartphones… Et la langue s’appauvrit, meurtrie de tant de technologie et d’impatience à échanger toujours plus vite les petites choses du quotidien. Et d’aucuns diront qu’elle vit, qu’elle évolue à sa façon…
Et si nous osions encore la poésie ?
Il coule
Immobile
Au creuset
De la Présence
Tel un point qui s’étale
L’espace de ‘l’accueil
Entité de l’instant
ADN du temps
Vence 03 Novembre 2017
DES MOTS POUR RENDRE GLOIRE
Des mots pour rendre gloire
et des mots pour chanter le souffle de la chair
et des os et du sang ;
des mots pour déployer la conscience et l’hommage,
bras en croix, face au sol ;
manière de prier qui pulse en nos poitrines
au rythme des marées, des saisons et des astres.
Au réveil, immobile, la pensée plane et glisse
en aigle libre encor ; témoin non affecté
par cet habit de peau qu’il faut déjà reprendre.
Un battement des cils et s’incarne l’Esprit.
Je m’étire et l’espace est réduit à ce corps.
Debout, la pesanteur rappelle à mes souliers
l’antique appartenance au règne du Glèbeux.
La marche me rassure : je ne suis pas que roc.
Boire, uriner, bouger … mes besoins et désirs
me parlent de sang chaud et non de pâle sève.
L’omoplate s’anime : une étoile de mer
-musculeuse saillie- fait relief sous la peau.
Je montre le chemin : le delta de l’épaule
se tend, vibre et frémit.
Je bande, je digère, j’assimile … et mon feu
semble un peu de celui que les volcans présagent.
Je calcule et j’agis ; je pense, j’analyse …
c’est la lumière que le soleil me confie !
De mon crâne aux orteils bat mon temps qui défile ;
mon diaphragme s’abaisse : Dieu m’enracine en terre.
Il remonte, et je rends tout ce qu’Il m’a confié.
Chaque respiration, en humble chef d’orchestre,
Tente de pacifier l’humaine symphonie
que l’ange et l’animal se veulent disputer
depuis qu’il est toujours. Malicieux pari,
je chante, danse et prie : je me crois libéré ;
je m’attache, je doute : et le piège s’affirme !
Retour au corps. Point d’orgue.
Croisée de vertical
et d’horizon mêlée.
En la crèche du cœur,
installer l’Enfant roi, la Promise et l’Epoux.
De toute éternité le sceau de l’alliance
fait de mon péricarde une chapelle ardente,
le temple de l’Amen. Cachées en évidence,
ma main d’enfant, tendue, et celle de mon Père,
se rejoignent ici : ici et maintenant.
Voici bien la Présence et la sainte mouvance :
Lorsque je diminue Il s’impose et grandit ;
athanor du bassin, poitrine cathédrale,
Graal de l’épiphyse, feu sacré des gonades,
hélices d’ADN, galaxies spiralées …
révèlent en ce corps la cosmique fréquence
où ma densité même se souvent des cieux
Plus de regrets ni plus de rêves éphémères,
ni doutes ni croyances, ni craintes infondées :
Chaque souffle me prouve et grave en tout mon être
un peu de l’héritage au sacre des cellules.
Que d’éthers concentrés jaillis du front du Père
Il a fallu pour façonner mes os ! Et que
d’amour il faut pour que tout l’univers demeure
l’existence et l’essence, ici bas comme en haut !
13 août 2015
A QUOI BON SE PARLER ?
A quoi bon se parler et s’écouter encor
si tant de mots pastel stérilisent nos heures ?
Dits pour tuer le temps, les mots sont des enfants
saccageant les jardins précieux du partage ;
épicée de présence, la plus humble parole
efface le sucré de mille bavardages.
Dites-moi votre fange et clamez vos sommets,
mais taisez l’entre-deux de vos eaux trop potables :
Taisez-m’en la tiédeur. Du fade pas un mot
qui néante l’espace et sclérose le temps !
Laissons au poulailler les paroles sans corps,
creux échos impuissants et vides caquetages.
Parlez-moi des séismes et des météores
qui consacrent vos jours et dénoncent vos nuits ;
livrez-moi vos soupirs, à l’heure du couchant,
et les douces moissons que l’aube renouvelle.
Dansez-moi les bons vins que l’amitié régale,
et l’ivresse des cœurs que l’amour sanctifie ;
dites-moi la brûlure, aux jeux trop près des lampes,
et le vertige bu du côté de la lie.
Parlez-moi de vos ruts, narrez-en la fêlure,
la fracture ou le bri de vos âmes en feu !
Parlez-moi seulement des joies et des mystères
du chant de liberté que clament vos amours.
Révélez-moi plutôt tout ce qui vous fait croître
et mourir et renaître au creuset des épreuves,
tout ce qui vous chavire et tout ce qui vous broie,
ce qui vous illumine et ce qui vous propulse …
Dites-moi la colère et la peine et l’effroi,
mais contez-moi surtout la grâce du pardon !
Redites-moi l’ardeur des rêves, l’impossible
à ceux qui n’osent ni la folie ni la croix …
Ô dites-moi le chant de la présence ailée,
sourire inépuisé qui transcende la mort.
Plus que de vos plaisirs, parlez-moi de l’extase,
de vos aspirations, plus que de vos désirs,
plus que de vos savoirs, dites la connaissance
et de vos nuits sans rêves, espérez les grands songes.
Plus que tout, dites-moi les secrets et trésors
que les cieux vous confient en votre chambre haute :
Rubis, pierres de lune, diamants, émeraudes,
joyaux de connaissance, perles de vérité…
Contez-moi cette paix et vivons cette grâce :
le vertical envol du Souffle enraciné.
Murmurons-nous enfin, entre rires et larmes,
quelques cendres de perles et quelques jeux de mots,
de ceux qui fortifient et de ceux qui consolent
les artisans de paix et de fraternité.
Chuchotons, d’âme à âme, les mots qui régénèrent,
et la complicité de nos métamorphoses.
Dites-moi le nectar qui coule entre les mots,
source qui nous éclaire, réchauffe et vivifie !
Apprenez-moi l’espace ouvert, paupières closes,
et tous cris épuisés, le minéral silence.
S’il faut brûler nos mots,
préservons les paroles -jaillissements du Verbe-
pour lesquelles peut-être fut créé le chant :
Gardons Alléluia, Merci, Servir, Amen !
– les Saint-Jean Bouche d’Or réjouissent les dieux –
Alors, pourrions-nous sourire et puis nous taire,
abandonnant aux lèvres
le boire et le baiser.
Képhalonia, kiriaki, 09 / 08 / 2018
ACCIDENT
Zachintos -île de mémoire
éprouvée cent fois par tes dieux-
tu nous offris l’étrange grâce,
une parenthèse au soleil,
aux verts aromes des lentisques,
au vent sucré de tes figuiers.
En plein sourire, l’accident.
La moto glisse sur l’asphalte
et nos corps coulent hors du temps :
ivresse ; alliance éphémère
de la Présence et de l’instant.
A la douleur, au feu, au sang,
se mêlent la mort et l’offrande :
une façon de lâcher prise
offerte à l’oiseau dans la bise
ou la truite à contre-courant …
Quelques secondes pour goûter
une manière de confiance
où la pensée naufragée meurt
et s’abîme au cœur de la Joie.
La Joie sans condition s’impose
-majusculaire-
et gomme à tout jamais le drame.
Nul espace où vivre la peur ;
sur un bitume en canicule,
interminable dérapage
où la conscience rayonne
en libre et détaché Témoin …
Zachintos 3 août 2000
LES METEORES
les moines ont osé défier l’impensable :
Cathédrales de roches façonnées des chants
qu’Ulysse a dû clamer aux temps de la légende.
A si parfait spectacle il fallait sa gageure,
et des hommes en noir ont tenu le pari
de loger leur nid d’aigle -transcendante parure-
au sommet de ces rocs, pour y louer Marie !
Cerclées de vertical, des aires imprenables
où se taire et prier. A force de sueur
et de foi et de sang, ériger jusqu’au cieux
le souffle de l’Esprit, écrin de mille icônes,
chapelles élevées au plus près du Puissant.
Glissent des ombres bleues sur les doigts du géant
et les crânes de pierre. Les Météores veillent.
Sont-ils tombés du ciel ou jaillis de la terre
pour perpétuer des dieux la minérale offrande ?
L’horizon se déchire et tire du néant
l’âme de Thessalie accouchant sa merveille.
Les Météores, un 15 Août
LES TRANSATS
Les éléphants de mer débordent des transats.
D’histrionnes nymphettes paradent en leur string,
mais personne ne jouit du bien charmant spectacle ;
excepté l’œil gonflé des Allemands, repus
de frittes-moussaka et de mauvaise bière.
Ultime effort, parfois, ajustant leur casquette,
Ils suivent le soleil et traînent leur fauteuil …
C’est le temps du non faire ;
le règne des cigales.
Un unique nageur aux yeux caoutchoutés
épuise la piscine en son crawl trop parfait.
Ensuqués de coca, de glaces et de jeux,
les enfants abandonnent. Ils s’ennuient. Les parents
dégoulinent de sueur et d’huiles à bronzer.
Cela ronfle et digère ;
cela baille et s’étire.
Distendus, des maillots confient à tous les vents
d’intimes bourrelets, trois poils ou une couille …
Un lézard s’aventure à explorer les tongs
qui offrent au soleil leur désastre esthétique.
Au fond d’un café grec une guêpe s’enlise.
Ce monde est ce qu’il est.
J’en témoigne et souris.
Zachintos, 9 août 2016
YOGA
Sans prise ni mesure
l’angle des mots qui savent
parfait le prisme ancien
du corps inoublié
l’estompe du Verbe
amenuise en silence
sans espoir ni regret
crescendo
celui que j’abandonne
et rien de plus on ne possède
et rien de moins on ne possède
que la joie sans contour
de retrouver sa place
exacte
tout au fond de ses doigts
contre l’angle de ses genoux
de ses talons
jusqu’au bout de ses tempes
battues
sans même plus de trace d’estompe
Jeûne
grandes manœuvres
nettoyage de printemps
Vide touché du doigt
AUM